Châteauneuf-du-Pape est l’appellation star de la vallée du Rhône. Alors lorsque ce domaine a été mis en vente sur la commune de Bédarrides, les appétits se sont aiguisés. Pour éviter la spéculation, la délégation vauclusienne de la SAFER Provence Alpes Côte d’Azur est intervenue. Au bénéfice de la cave coopérative Le Cellier des Princes, qui préserve là une part sensible de ses ressources.

Le célèbre village de Chateauneuf-du-Pape, phare de l’appellation

Il faut du caractère pour être viticulteur. Surtout en hiver, quand le mistral souffle à décorner les taureaux. Nous sommes à Courthézon, dans cette basse vallée du Rhône où les galets roulés n’amassent pas mousse mais résistent au vent en renvoyant le soleil sur les ceps noueux. Sur la très fréquentée ex nationale 7, à deux pas d’Orange, le bien nommé Cellier des Princes fédère 150 familles de coopérateurs viticoles. Une partie travaille la célèbre AOC Châteauneuf-du-Pape, vendue dans le monde entier. D’autres le Vacqueyras, Gigondas, Côte-du-Rhône Villages (Valréas, Plan de Dieu…) et des vins de cépage IGP.

Certains possèdent des terres sur plusieurs appellations. Au total : 600 ha, entre Châteauneuf-du-Pape, Bédarrides, Jonquières, Caderousse, Sarrians, Orange… « Nous sommes la plus grande cave de production de Châteauneuf-du-Pape. L’appellation compte pour 50% de notre chiffre d’affaires. La demande ne cesse d’augmenter, nous avons des besoins de plus en plus importants », éclaire Pierre Cohen, directeur de cette cave, qui fêtera ses 95 ans en 2020.

19,39 ha de Châteauneuf-du-Pape à vendre

Autant dire que lorsqu’un domaine arrive en fin de contrat et fait l’objet de rumeurs de vente, les oreilles du président de la cave, Jocelyn Bressy, se dressent pour écouter si cela n’annonce pas la perte possible d’un coopérateur. C’est ce qui est arrivé en 2014-2015, quand les héritiers du Domaine des Escondudes ont laissé entendre qu’ils voulaient vendre. 19,39 ha de parcelles d’un seul tenant, à Bédarrides, 100% en terroir Châteauneuf-du-Pape. Un bijou. « Le risque était que le domaine soit vendu à l’extérieur et qu’il échappe totalement à la coopérative. Avec une spéculation foncière à la clef », pointe Fabrice Triep Capdeville, directeur départemental de la SAFER dans le Vaucluse. « Notre rôle, c’est d’intervenir et de réguler, afin que les terres ne partent pas au plus offrant ou dans des mains de gens qui n’en ont pas forcément besoin », précise Jean-Louis Canto, président du Comité Technique Départemental (CTD) de la SAFER.

Jusqu’à 450 000 € l’ha…

De g. à d. Jocelyn Bressy, président de la cave; Jean-Louis Canto, président du CTD de la SAFER; Fabrice Triep-Capdeville, directeur départemental de la SAFER dans le Vaucluse; Pierre Cohen, directeur de la cave.

Prévenue des convoitises par le Cellier des Princes, la SAFER n’a pas tardée à réagir. Sur ces terres rares très recherchées, « les propriétaires avaient reçu des offres de domaines viticoles de la région à 450 000 € l’hectare. Ils étaient prêts à signer. Nous avons adopté une attitude très offensive et sommes allés les voir en leur proposant le rachat ferme du domaine pour 8,4 M d’€ – 434 000 € l’ha, ndlr – ainsi que les parts de la société d’exploitation, pour 385 000 € », raconte Fabrice Triep Capdeville. Les héritiers auraient pu s’en offusquer, les autres candidats se plaindre. Car en France, le marché de la terre agricole n’est pas libre. La SAFER est là pour éviter la spéculation et préempter les parcelles le cas échéant.

 

Mais c’est oublier bien vite qu’être coopérateur est aussi une philosophie. Une mutualisation des moyens de production. Une aide technique apportée aux vignerons. Et la possibilité pour une exploitation située sur un très beau terroir, comme Les Escondudes, de faire produire une cuvée avec le nom du domaine par le Cellier des Princes. Ce vécu historique a prévalu. Les héritiers du domaine n’étaient pas insensibles à ce qu’une partie des terres restent à la coopérative. Ils ont choisi l’offre de la SAFER, sachant que le Cellier des Princes avait un projet de reprise sérieux.

 

Trois nouveaux propriétaires, dont le Cellier des Princes

Dans les vignes de l’appellation à l’heure des vendanges…

C’est ici qu’il faut bien comprendre le rôle de l’organisme. Il n’intervient dans la maîtrise foncière que dans le but de rétrocéder les terres à des agriculteurs qui en ont besoin. Soit à des jeunes en attente d’installation. Soit à des exploitants en activité désireux d’agrandir ou de restructurer leurs terres. « Une fois acquis le domaine, nous avons fait une publicité d’appel à candidature. 21 candidats se sont déclarés, des caves particulières, des négociants et le Cellier des Princes. A ce stade, les investisseurs spéculatifs disparaissent. Ils savent qu’ils ne pourront plus acquérir le domaine en entier », décrypte le directeur de la SAFER.

Après étude des candidatures, la SAFER a donc revendu le Domaine des Escondudes à trois nouveaux propriétaires : 6 ha au Cellier des Princes ; 8 ha au Domaine du Vieux Télégraphe, pour l’installation de deux jeunes avec leurs parents ; 5 ha 39 au Domaine Clos Saint-Jean. Ces deux derniers ont cédé à la SAFER respectivement 3 ha et 4 ha 80, afin d’échanger des parcelles plus éloignées susceptibles d’intéresser d’autres viticulteurs.

Six viticulteurs-coopérateurs agrandis

Du côté de la cave coopérative, on avait anticipé l’opération. « Certains coopérateurs auraient bien voulu acheter en direct mais n’en avaient pas les moyens. Nous avons donc investi pour eux et, après l’acquisition, avons sélectionné 6 vignerons de moins de 40 ans, apporteurs totaux à la cave. Avec l’idée que chacun s’agrandisse d’1 ha », indique Jocelyn Bressy.

Validé par la SAFER, le choix a ainsi permis à six apporteurs de mieux vivre de leur travail. Ils louent les nouvelles terres au Cellier des Princes et s’engagent à apporter 100% de leur récolte à la cave. Dans 10 ans, s’ils le souhaitent, ils pourront acheter leur parcelle. En attendant, la cave a pu préserver une part de sa production. Et maintenir, par l’entremise de la SAFER, sans spéculation, des viticulteurs en place ainsi qu’une partie des terres dans son giron.

Au-delà de la rétrocession au Cellier des Princes, cette transmission et les échanges réalisés ont permis de restructurer le parcellaire et améliorer l’encépagement d’une dizaine de viticulteurs. Initialement, les 19  ha devaient être vendus à deux  grands domaines.